… Non pas celles de ces billets, ou pas seulement, mais aussi celles de ce pourquoi et sur quoi ces billets seront écrits. L’objectif de ces courts articles est de proposer une réflexion sociologiquement argumentée sur les règles du jeu électoral. Inspirée de mes travaux sur la socio-histoire de la réforme électorale, cette entreprise vise à éclaircir quelques aspects qui concourent à transformer la pratique même du vote, côté représentants comme représentés. Le troisième âge du suffrage universel, celui qui atteste la clôture du champ politique sur lui-même, impose la nécessité d’en comprendre les origines. Réaction(s) au fil de l’actualité, ces billets auront vocation à replacer les éléments procéduraux (propositions de loi, programmes, jugements) et factuels (données brutes, indices biographiques) dans une meilleure compréhension du cadre institué des opérations de vote qui nous entourent. Construction(s) au fil des lectures et recherches, ces billets (s’) alimenteront autour d’une sociologie de la représentation qui tâtonne (encore, désolé) pour décrire la peur de la représentation, pour paraphraser J. Goody, qui anime toute l’évolution de ce cadre institué et, partant, toutes les tentatives éparses pour l’enserrer dans une « réforme électorale » entendue comme vaste et perpétuel mouvement de contrôle du ce qui va de soi en la matière.
La méthode retenue consistera à se saisir de faits pour les mettre en perspective et les faire se télescoper aux connaissances sociales arrêtées sur le vote. Pour l’essentiel, les transformations du droit électoral intervenues en France ces dernières années, notamment depuis la réforme constitutionnelle de 2008 permettent d’observer une montée en puissance assez efficace d’une critique sociale du jugement majoritaire qui s’est appuyée sur plusieurs réformes et, chemin faisant, plusieurs expressions intellectuelles à ce propos (productions intellectuelles que nous ne manquerons pas d’étudier ici). Olivier Christin, qui vient de publier il y a deux ans une pré-histoire de la lente et contradictoire émergence de ces règles majoritaires , ne manque jamais de décrire comme une parenthèse, qui se refermerait aujourd’hui, cet épisode majoritaire qui aurait accompagné les expériences contemporaines du vote démocratique. Cet immense défi intellectuel de repérer la fin d’un processus majoritaire impose, disons-le encore, de situer socialement certaines de ses règles (comment définir les frontières du monde des candidats ? A quelles règles de l’échange et de la bienséance obéissent-ils, etc.).
La remise en cause des principes de base du sentiment majoritaire existe : défait par le biais des accords « majoritaires » en matière de représentativité syndicale, attaqué par la transformation consensuelle du cadre des oppositions parlementaires (au pouvoir renforcé par la réforme constitutionnelle de 2008). Le bilan institutionnel de la période 2007-2012 doit laisser place, dorénavant, à celui de la période 2012-2017, non pas précisément à des fins de comparaison mais pour justement souligner la permanence d’un certain nombre de transformations sociales inhérentes au corps électoral et inhérentes au réformisme institutionnel et électoral dont la vocation première de perfectionnement de la professionnalisation électorale ne fait aucun doute.
Ces transformations institutionnelles et sociales du droit de vote méritent d’être réunies et exposées de façon transversale. Parce qu’elles touchent à des univers symboliques qui ne sont pas toujours rapprochés (la structuration des territoires, l’organisation des campagnes, la formation du corps électoral, les jugements de catégorisation, le droit des candidatures), ces transformations, pour beaucoup en cours, méritent également d’être rapportées à l’aune des modalités juridiques et sociales antérieures, parfois méconnues parce qu’instituées et naturalisées dans l’acte de vote. C’est ainsi que nous pourrons contribuer à dresser un premier bilan de la réforme électorale latente depuis 2012. Empruntant des voies territoriales plus que constitutionnelles, comme le pouvoir précédent, les innovations n’en ont pas moins été cruciales : perfectionnement des primaires, élargissement des circonscriptions locales cantonales et régionales, modification du régime de l’uninominalité, du cumul, etc. La domination territoriale, le déplacement de ce que l’on se propose d’appeler les frontières sociales du vote fait que, naturellement, l’exclusion sociale du processus de vote tend à être jugulée par une inventivité institutionnelle sans relâche.
Bonne lecture.