
Les frontières sociales et démographiques de la population se rendant aux urnes (ou pouvant potentiellement s’y rendre) s’inscrivent dans une certaine forme de mobilité (problématique du droit d’accès, national notamment) ou historique (problématique de l’implication des générations successives, des jeunes notamment) ou bien géographique (problématique des réinscriptions). Ce sont ces trois idées que je voudrais aborder dans une série de trois posts pour, en quelque sorte, souligner l’actualité en 2017 – à la veille des échéances électorales – des débats intervenus depuis 2012 ou avant. Ces billets veulent embrasser les trois problématiques en rappelant l’état du droit débattu depuis 2012 et l’état, donc, de ce qui n’a pas été voté mais qui résidait et réside encore dans certains programmes présidentiels. Des promesses avaient-elles était faites sur tous ces aspects ? Oui, certainement, et elles résonnent fortement quand on observe les décennies passées en termes de mobilisations contre la non-inscription ou la mal-inscription électorale. « Compter et classer » les populations, les voix, relève, comme l’a montré Paul Schor dans son bel ouvrage sur les recensements américains de la construction de toutes les formes de citoyenneté, tant politique que sociale.
Une faible emprise institutionnelle
On peine à trouver des bilans satisfaisants de l’activité institutionnelle de la présidence Hollande, activité discrète certes mais assez multiforme tout de même si on entend par delà autre chose que les seules réformes constitutionnelles. La présidence de Nicolas Sarkozy a occasionné plus de commentaires à ce propos notamment suite à la réforme constitutionnelle de 2008.
Sur la question du droit de vote des étrangers aux seules élections municipales, point n°50 du programme présidentiel de F. Hollande en 2012, l’ambition était nette et venait couronner un consensus parmi les forces de gauche, fortement mobilisées à ce propos, sur cette revendication vieille d’au moins 17 ans aujourd’hui en tant que proposition législative concrète. Cette longueur législative, assez inhabituelle aujourd’hui où le rythme et le cycle des lois suivent des tempo beaucoup plus alertes, n’est pas sans rappelée les longues phases de redéfinition des règles du jeu démocratiques (modes de scrutin notamment) qui travaillent certains régimes démocratiques aujourd’hui (l’Italie et l’Espagne depuis les années 2000 par exemple) ou qui ont par exemple illustré le cas Français à la fin du 19ème siècle (vingt ans pour stabiliser le régime parlementaire, etc.). Quelles manifestations sociales recouvrent cette question du droit de vote des étrangers ? Quelle place a t-elle dans le bilan institutionnel du pouvoir qui achève ces jours-ci son œuvre ? C’est aussi et surtout ce bilan que la question du droite de vote des étrangers permet d’aborder en photographiant l’emprise que la majorité sortante a prétendu avoir sur la réforme institutionnelle et électorale, emprise qu’elle a pourtant prétendu conserver par ailleurs (modes de scrutins locaux, réforme des régions … etc.).
Pour l’essentiel, les mobilisations résident encore dans la revendication d’un droit de vote pour les populations d’une autre nationalité que celle du pays d’accueil. Depuis 1998 toutefois, « les citoyens de l’union européenne résidant en France (…) peuvent participer à l’élection des conseillers municipaux dans les mêmes conditions que les électeurs français » (article LO227-1 du code électoral). Parallèlement, depuis les élections européennes de 1994 et conformément à l’article 19 (8B) du traité de Maastricht, « tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside ». Dans ce cas, les conditions de l’inscription relèvent du droit national et peuvent être ainsi plus ou moins restrictive (au Luxembourg, une durée minimale de 5 ans de résidence est demandée du fait du très grand nombre de citoyens européens présents dans le Duché).
A part ces deux exceptions qui donnent d’ailleurs lieu à l’établissement de listes électorales complémentaires (environ 300 000 inscriptions sur la liste électorale complémentaire des citoyens de l’UE) et dont la justification ressort de la présence d’un droit positif concurrentiel du droit national, aucune modification substantielle du droit électoral ne semble à l’ordre du jour en France. L’évidence des liens entre nationalité et droit de vote peut toutefois encore constituer un enjeu politique très controversé, ce qui explique d’ailleurs les blocages sur les propositions visant à accorder le droit de vote pour les étrangers résidant aux seules élections locales. En 2000, la gauche au pouvoir a fait voté vainement cette proposition par la seule Assemblée nationale. Des mobilisations spécifiques ont vu le jour ultérieurement en fonction d’échéances électorales locales (comme les municipales), par exemple l’association « Pour nous, c’est 2008 », qui préconisait une extension du droit de vote local des ressortissants de l’UE pour l’ensemble des étrangers résidant en France. On peut encore citer l’appel de Strasbourg en 2010, marqué par une plus grande liaison avec la pratique d’expériences locales. Plus tard, la gauche (socialiste et communiste au Sénat) ayant conquis une force électorale ample et territorialement diverse, matérialisée par l’obtention de la majorité sénatoriale en 2011, avait proposé de réviser la constitution pour y inclure un article 72.5 en reprenant ainsi le flambeau de ce que la gauche gouvernementale avait voté devant l’assemblée nationale …. en mai 2000 : « Art. 72-5. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales est accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »
Par delà une controverse de stratégie(s) électorale(s) qui ne se cachait pas ou peu, le débat de 2011 – 2012 a fait ressortir les fondements actuels de ce débat, à savoir l’inclusion de franges de la population en raison même de leurs ancrages citoyens (degré de participation aux scrutins, prégnance des engagements associatifs locaux, … etc.). Le Premier ministre de l’époque, François Fillon, n’affirmait-il pas, pour spécifiquement s’opposer à cette extension, que : « Les étrangers qui le souhaitent peuvent participer à la vie de la cité, dans le cadre associatif, dans l’entreprise, dans les comités de quartiers. Je ne peux que les encourager à le faire, car c’est le signe d’une volonté d’intégration ».
L’essentiel de cette argumentation civique et sociale est rappelée dans le rapport de la sénatrice Esther Benbassa en 2011. La population visée par l’éventuelle modification de la constitution serait d’environ 2,3 millions de personnes. Grande inconnue politique et sociologique, la mesure pourrait entraînée, selon la sénatrice, une forte augmentation et stabilisation de la participation électorale d’une autre partie de la population, celle des enfants ou proches familiaux des ces personnes mais qui auraient elles, de naissance, la nationalité française. Bien entendu cette causalité reste à vérifier, tout autant d’ailleurs que la portée politique de ces votes nouveaux et/ou multiples. Là encore, tentons de comprendre de façon générale, une enquête plus systématique devrait pouvoir le faire un jour, les conditions intellectuelles du débat et l’impossibilité de son prolongement depuis 2012. En l’absence de statistiques électorales proprement « ethniques », le matériau social sur lequel s’appuie les politiques est constitué d’anticipations vagues, de sondages ponctuels et hors contexte, et d’une sur-interprétation idéologico-religieuse des comportements de vote (pourtant partiels et peu assurés). Ainsi le chef de file des sénateurs républicains au Sénat (B. Retailleau), justifie l’opposition de la droite parlementaire au nom même d’une sociologie électorale produite in situ, à des fins de mobilisation électorale. Il met en cause en effet en 2011 une étude de la fondation Terra Nova sur les bases populaires du vote pour le PS : « On y lit précisément que le PS doit opérer une rupture stratégique pour compenser la perte d’un électorat populaire, notamment ouvrier, et s’appuyer ainsi sur les minorités ». Le rapport Benbassa ne faisait pas moins son miel des études et sondages pour justifier la proposition elle-même. Depuis, cette proposition était revenue comme un serpent de mer dans différents programmes partisans (elle constitue par exemple le point n° 50 du programme présidentiel de F. Hollande en 2012, candidat du parti socialiste). Déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, cette proposition ne sera jamais étudiée par la Commission des lois constitutionnelles de l’actuelle majorité. Un groupe de députés a bien tenté de relancer dès le début du quinquennat la proposition à travers une tribune de presse (Le Monde) intitulée : « Le droit de vote des étrangers aux élections, c’est maintenant ». Aucun débat public n’a pourtant eu lieu sur cette question, tout au plus quelques scansions pour justifier le renoncement.
Enfin, le député JC. Lagarde, chef de file de l’UDI, a également déposé une proposition de loi constitutionnelle en 2013 proposant que les seuls citoyens européens « soient éligibles à tous les mandats électoraux et fonctions électives, à l’exception du mandat de Président de la République ». Par son existence même, cette proposition de loi marque que la question du droit de vote des étrangers restent enfermée dans une argutie juridique multiple prise dans des enjeux (la consistance politique de l’Union européenne, les politiques migratoires, l’état des droits sociaux …) qui dépassent la seule question juridique et politique qui vaille celle la définition substantielle et formelle de la citoyenneté aujourd’hui. Cet arrière fond est quasiment oublié aujourd’hui, ayant laissé comme seule opportunité la réunion de conditions assez improbables : un débat institutionnel européen serein, une conjoncture économique et sociale favorable et, enfin, une pacification des sur-interprétations ethniques et religieuse
Pour enterrer une proposition, faire un rapport avant
Comme une antienne un peu partout notée d’ailleurs, la proposition revient, sous un jour à peu près stable mais toujours dans une connivence avec le temps électoral qui interroge. Le Parti socialiste a ainsi proposé dans un rapport programmatique sur les réformes institutionnelles à instaurer après 2017 la reprise de cette proposition tout en déminant déjà les éventuels freins d’une population française décidément bien frileuse à ses yeux : « si les Français sont hésitants sur cette mesure, c’est en partie parce qu’ils imaginent des communautés étrangères constituer des listes entre eux, voire des émissaires de Daech investir les conseils municipaux ». Lors de la primaire de gauche, l’idée a d’ailleurs était diversement reprise et ne constitue pas un argument de premier plan aujourd’hui. Le programme de la France Insoumise de JL. Mélenchon prévoit lui aussi cette mesure : « Reconnaître le droit de vote aux élections locales pour les résidents étrangers en situation régulière, comme en bénéficient déjà les ressortissants des pays de l’Union européenne ». En ce qui concerne les personnes ayant effectivement le droit de vote, toute mobilisation et toute pression civique ne sont pourtant pas absentes. On observe depuis les années 1980, notamment dans les périodes qui précèdent les élections présidentielles, une forte mobilisation pour réduire la non-inscription sur les listes électorales. Il faut en détailler quelques étapes significatives avant de prendre acte des réalités statistiques de ce qui est tour à tour décrit et finalement perçu plus comme un déficit civique que comme une désaffiliation sociale. Ce sera l’objet d’un prochain billet.
Paul Schor, Compter et classer : histoire des recensements américains, Paris, Presses de l’EHESS, 2009. 386 p.
Emmanuel Henry, « Inscription », in Y. Déloye (dir.), Dictionnaire des élections européennes, Paris, Economica, 2005.
je suis l’un de vos lecteurs et j’apprécie vos travaux et j’ai appris beacoup de votre thèse
professeur à la Faculté de droit de Rabat où j’enseigne le droit constitutionnel et droit et sociologie électorale
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