Les résultats du Limousin au 1er tour ont été marqués par une tripartition comme partout en France avec une particularité, un peu passé inaperçue (mais sur laquelle j’avais déjà insisté sur l’antenne de France 3 Limousin), c’est-à-dire le reclassement du trio de tête avec le passage de Marine Le Pen en 2ème position et donc de Jean Luc Mélenchon en 3ème … le tout venant boucler un cycle électoral (européennes ou élections locales) parfois contradictoire. Non seulement cela a contribué à normaliser politiquement le Limousin vis-à-vis du reste de la France (puisque les résultats sont rigoureusement conformes à ceux du niveau national) mais aussi à confirmer l’effacement très lent et très progressif d’un électorat populaire rural de gauche puisque Jean Luc Mélenchon fait ses meilleurs scores à Limoges, Brive ou Guéret donc dans des concentrations urbaines plus diplômées, mais aussi plus jeunes, donc peut être plus rétives ou moins habituées à entendre et suivre des consignes (qui par ailleurs n’existaient pas vraiment pour la formation de campagne de l’Union populaire). Les données ci-dessous reprennent en « blocs » pour les résultats de la Creuse, de la Corrèze et de la Haute-Vienne les différents candidats (ou partis) ayant appelés à voter E. Macron (V. Pécresse, Y. Jadot, F. Roussel, A. Hidalgo) ou M. Le Pen (E. Zemmour, N. Dupont-Aignan).
Au delà des consignes …
On peut, en attendant 20h, déterminer quelles logiques sociales peuvent contraindre à suivre (ou pas) les consignes, c’est à dire savoir en quoi consiste chacun des deux électorats appelés à se regrouper en ce 24 avril ?
Le bloc Le Pen en Limousin : un électorat âgé et dispersé dans la ruralité
Retrouvez ici une conférence / débat réalisée par le club de la presse du Limousin à la Faculté de droit de l’université de Limoges le 4 février 2020. J’ai le plaisir d’y partager le micro avec Christian Moulinard. Merci à Cécile Descubes pour cette invitation. Tandis que C. Moulinard évoque l’évolution des rapports de force politique à Limoges à quelques mois des municipales de mars 2020, je propose un rapide aperçu des évolutions sociologiques fondamentales que traduit notamment le profil des élus intercommunaux en Creuse, Corrèze et Haute-Vienne.
Quelques données utilisées lors de la conférence
Âge moyen des conseillers municipaux des communes de moins de 9000 hbts en Creuse, Corrèze et Haute-Vienne (élus en 2014).
« L’analyse du RNE (n= 9821) montre notamment une proportion d’élus de moins de 40 ans à hauteur de 11 % »
Âge moyen desconseillers municipaux des communes de plus de 9000 hbts en Creuse, Corrèze et Haute-Vienne (élus en 2014).
« L’analyse du RNE (n= 9821) montre notamment une proportion d’élus de moins de 40 ans à hauteur de 8 %. »
Pourquoi En Marche ne veut pas (vraiment) de représentation proportionnelle ?
Cela pourrait paraître logique : avec un mode de scrutin proportionnel aux élections législatives (demandé par le Front national, la France insoumise, bien d’autres encore …), le mouvement En Marche pourrait prétendre à un nombre de députés sous sa bannière bien supérieur sans doute à ce que le mode de scrutin actuel pourra lui apporter. Les tractations, hésitations, retournements (de veste) depuis le dimanche 7 mai le prouvent : il est extrêmement compliqué de rassembler un volant de candidats unanimement réunis sous un même drapeau (« En Marche ») face à un appareil partisan qui survit pour reprendre l’analyse de R. Lefebvre : il y a des socialistes (de parti) qui veulent marcher, des socialistes qui veulent prendre la fuite (en courant en somme, M. Valls), des marcheurs qui ont quitté le Parti socialiste une fois les chaussures de marche bien chaussées (R. Ferrand), il y a aussi des socialistes qui font marcher leurs électeurs … bref …
A l’aune de mes travaux sur l’histoire de l’implémentation des modes de scrutin, une question s’est imposée à moi : pourquoi cette plateforme de programme improvisée qu’est le mouvement En Marche n’a pas revendiqué plus que ça un changement de la règle électorale législative ? Certes, il était de bon aloi de partir à la bataille des 11 et 18 juin avec le mode de scrutin actuel, sans même prétendre le modifier dans l’avenir. Mais revendiquer une représentation proportionnelle dès juin 2017, sans la pratiquer de jure, aurait permis de cristalliser cette façon informe, au sens propre du terme, de faire de la politique. En se revendiquant majoritaire à partir d’une arithmétique relative, il serait simple de prétendre convertir le score national uniformisé des présidentielles en autant d’atomes dans les circonscriptions.
Cette absence de revendication, et finalement cette façon de se couler dans le moule majoritaire des institutions de la 5ème République, me conduit à émettre quelques hypothèses. Pourquoi donc ce refus et in fine cette normalisation institutionnelle à venir ? Je retiens six points :
Emmanuel Macron n’est pas un lecteur assidu de mes travaux, ce n’est pas bien !, et il méconnaît que son prédécesseur est bel et bien Aristide Briand, arriviste de la cause proportionnaliste qui endosse cette revendication quand il arrive au pouvoir en 1910 pour se maintenir entre la SFIO qui progresse, et s’imposera nettement aux législatives de 1914, et le grand bloc radical qui se maintient alors cahin-caha.
A. Briand, en marche visiblement …
Le circuit de sélection des élus n’est plus vraiment connecté au suffrage universel mais se fait en amont, dans l’univers des « candidats à la candidature ». La logique des primaires est aussi passée par là, toutes les candidatures aux élections législatives, dans presque tous les partis, font l’objet de primaires (plus ou moins concurrentielles il est vrai). Dès lors, on peut comprendre que si En Marche parvient à réguler en amont les candidatures (maintenir ou pas un candidat sérieux face aux concurrents socialistes ou républicains qui viendront après grossir les rangs d’une majorité à géométrie variable …), il est inutile de se focaliser sur la répartition proportionnelle des élus ex-post puisque celle-ci pourra résulter des accords préalables.
La consolidation sociale et l’uniformisation de la députation, comme l’ont montré dans un ouvrage récent S. Michon, E. Ollion et J. Bolaert, va de toute façon faire converger vers En Marche ce qu’il faut de consensus entre députés pour faire tourner, bon an mal an, la machinerie législative (votes à majorité variable … etc.).
On a négligé, dans l’approche récente des réformes territoriales, car la vulgate libérale de la concurrence territoriale l’a enterré un peu rapidement, le fait que le département, comme centre de ressources et point d’équilibre, joue un rôle d’arbitre des forces en présence. Les équilibres entre circonscriptions infra-départementales (je te donne ça ici, tu me donnes ça là-bas) correspondent au principe tout naturel du développement d’En Marche … pourquoi ce mouvement si moderne s’est développé à l’échelle départementale et non pas, par exemple, à l’échelon si moderne des grandes régions ? Tout simplement parce que les relations politiques et sociales entre forces politiques y sont inconnues ou quasi. Là encore, nul besoin d’une représentation proportionnelle, tout est joué dans l’histoire sociale des formes de sélection en amont des personnels partisans (proto-partisans si l’on veut respecter l’histoire du mouvement EM aujourd’hui …).
Bayrou a cédé sur ce point, alors qu’il est un fervent proportionnaliste, car il est faiblard …
L’emprise de la stratégie électorale
Au final, cette séquence se marque par une énième emprise de la stratégie électorale sur la vie sociale de la politique (les relations et rapports de force qu’expriment l’évolution des sociologies comparées des représentés et représentants). Les observateurs font tout pour lisser les technologies de la stratégie électorale comme s’il existait un vademecum des bonnes stratégies, des bons coups électoraux (l’attente, la prise de l’adversaire, la triangulation …). Cela fait couler beaucoup d’encre ou peser une forte pression sur les touches des claviers. Mais ce serait méconnaître que la stratégie électorale est une ressource inégalement répartie socialement, qu’elle est en fait la synthèse du capital culturel dont dispose un candidat et son entourage pour développer son sens spécifique du (bon) positionnement social. Comme le remarquait Durkheim lui-même en 1908 (« sans vouloir déprécier outre mesure l’utilité que pourrait avoir telle ou telle réforme électorale […] il serait vain d’en attendre un remède efficace […] Comment nos législateurs ne seraient-ils pas impuissants quand le pays est à ce point incertain sur ce qu’il doit vouloir ? »[1]. Effectivement, quand la désorganisation apparente permet d’ enrégimenter en amont les soldats, pourquoi partir à la guerre la fleur au fusil ?
[1] Durkheim (Émile), Textes. Tome 3 : fonctions sociales et institutions, Paris, Minuit, 1975, p. 219. Ce texte est une lettre écrite par Durkheim en réponse à la sollicitation d’une initiative militante.
Les frontières sociales et démographiques de la population se rendant aux urnes (ou pouvant potentiellement s’y rendre) s’inscrivent dans une certaine forme de mobilité (problématique du droit d’accès, national notamment) ou historique (problématique de l’implication des générations successives, des jeunes notamment) ou bien géographique (problématique des réinscriptions). Ce sont ces trois idées que je voudrais aborder dans une série de trois posts pour, en quelque sorte, souligner l’actualité en 2017 – à la veille des échéances électorales – des débats intervenus depuis 2012 ou avant. Ces billets veulent embrasser les trois problématiques en rappelant l’état du droit débattu depuis 2012 et l’état, donc, de ce qui n’a pas été voté mais qui résidait et réside encore dans certains programmes présidentiels. Des promesses avaient-elles était faites sur tous ces aspects ? Oui, certainement, et elles résonnent fortement quand on observe les décennies passées en termes de mobilisations contre la non-inscription ou la mal-inscription électorale. « Compter et classer » les populations, les voix, relève, comme l’a montré Paul Schor dans son bel ouvrage sur les recensements américains de la construction de toutes les formes de citoyenneté, tant politique que sociale.
Une faible emprise institutionnelle
On peine à trouver des bilans satisfaisants de l’activité institutionnelle de la présidence Hollande, activité discrète certes mais assez multiforme tout de même si on entend par delà autre chose que les seules réformes constitutionnelles. La présidence de Nicolas Sarkozy a occasionné plus de commentaires à ce propos notamment suite à la réforme constitutionnelle de 2008.
Sur la question du droit de vote des étrangers aux seules élections municipales, point n°50 du programme présidentiel de F. Hollande en 2012, l’ambition était nette et venait couronner un consensus parmi les forces de gauche, fortement mobilisées à ce propos, sur cette revendication vieille d’au moins 17 ans aujourd’hui en tant que proposition législative concrète. Cette longueur législative, assez inhabituelle aujourd’hui où le rythme et le cycle des lois suivent des tempo beaucoup plus alertes, n’est pas sans rappelée les longues phases de redéfinition des règles du jeu démocratiques (modes de scrutin notamment) qui travaillent certains régimes démocratiques aujourd’hui (l’Italie et l’Espagne depuis les années 2000 par exemple) ou qui ont par exemple illustré le cas Français à la fin du 19ème siècle (vingt ans pour stabiliser le régime parlementaire, etc.). Quelles manifestations sociales recouvrent cette question du droit de vote des étrangers ? Quelle place a t-elle dans le bilan institutionnel du pouvoir qui achève ces jours-ci son œuvre ? C’est aussi et surtout ce bilan que la question du droite de vote des étrangers permet d’aborder en photographiant l’emprise que la majorité sortante a prétendu avoir sur la réforme institutionnelle et électorale, emprise qu’elle a pourtant prétendu conserver par ailleurs (modes de scrutins locaux, réforme des régions … etc.).
Pour l’essentiel, les mobilisations résident encore dans la revendication d’un droit de vote pour les populations d’une autre nationalité que celle du pays d’accueil. Depuis 1998 toutefois, « les citoyens de l’union européenne résidant en France (…) peuvent participer à l’élection des conseillers municipaux dans les mêmes conditions que les électeurs français » (article LO227-1 du code électoral). Parallèlement, depuis les élections européennes de 1994 et conformément à l’article 19 (8B) du traité de Maastricht, « tout citoyen de l’Union résidant dans un Étatmembre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside ». Dans ce cas, les conditions de l’inscription relèvent du droit national et peuvent être ainsi plus ou moins restrictive (au Luxembourg, une durée minimale de 5 ans de résidence est demandée du fait du très grand nombre de citoyens européens présents dans le Duché).
A part ces deux exceptions qui donnent d’ailleurs lieu à l’établissement de listes électorales complémentaires (environ 300 000 inscriptions sur la liste électorale complémentaire des citoyens de l’UE) et dont la justification ressort de la présence d’un droit positif concurrentiel du droit national, aucune modification substantielle du droit électoral ne semble à l’ordre du jour en France. L’évidence des liens entre nationalité et droit de vote peut toutefois encore constituer un enjeu politique très controversé, ce qui explique d’ailleurs les blocages sur les propositions visant à accorder le droit de vote pour les étrangers résidant aux seules élections locales. En 2000, la gauche au pouvoir a fait voté vainement cette proposition par la seule Assemblée nationale. Des mobilisations spécifiques ont vu le jour ultérieurement en fonction d’échéances électorales locales (comme les municipales), par exemple l’association « Pour nous, c’est 2008 », qui préconisait une extension du droit de vote local des ressortissants de l’UE pour l’ensemble des étrangers résidant en France. On peut encore citer l’appel de Strasbourg en 2010, marqué par une plus grande liaison avec la pratique d’expériences locales. Plus tard, la gauche (socialiste et communiste au Sénat) ayant conquis une force électorale ample et territorialement diverse, matérialisée par l’obtention de la majorité sénatoriale en 2011, avait proposé de réviser la constitution pour y inclure un article 72.5 en reprenant ainsi le flambeau de ce que la gauche gouvernementale avait voté devant l’assemblée nationale …. en mai 2000 : « Art. 72-5. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales est accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »
L’essentiel de cette argumentation civique et sociale est rappelée dans le rapport de la sénatrice Esther Benbassa en 2011. La population visée par l’éventuelle modification de la constitution serait d’environ 2,3 millions de personnes. Grande inconnue politique et sociologique, la mesure pourrait entraînée, selon la sénatrice, une forte augmentation et stabilisation de la participation électorale d’une autre partie de la population, celle des enfants ou proches familiaux des ces personnes mais qui auraient elles, de naissance, la nationalité française. Bien entendu cette causalité reste à vérifier, tout autant d’ailleurs que la portée politique de ces votes nouveaux et/ou multiples. Là encore, tentons de comprendre de façon générale, une enquête plus systématique devrait pouvoir le faire un jour, les conditions intellectuelles du débat et l’impossibilité de son prolongement depuis 2012. En l’absence de statistiques électorales proprement « ethniques », le matériau social sur lequel s’appuie les politiques est constitué d’anticipations vagues, de sondages ponctuels et hors contexte, et d’une sur-interprétation idéologico-religieuse des comportements de vote (pourtant partiels et peu assurés). Ainsi le chef de file des sénateurs républicains au Sénat (B. Retailleau), justifie l’opposition de la droite parlementaire au nom même d’une sociologie électorale produite in situ, à des fins de mobilisation électorale. Il met en cause en effet en 2011 une étude de la fondation Terra Nova sur les bases populaires du vote pour le PS : « On y lit précisément que le PS doit opérer une rupture stratégique pour compenser la perte d’un électorat populaire, notamment ouvrier, et s’appuyer ainsi sur les minorités ». Le rapport Benbassa ne faisait pas moins son miel des études et sondages pour justifier la proposition elle-même. Depuis, cette proposition était revenue comme un serpent de mer dans différents programmes partisans (elle constitue par exemple le point n° 50 du programme présidentiel de F. Hollande en 2012, candidat du parti socialiste). Déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, cette proposition ne sera jamais étudiée par la Commission des lois constitutionnelles de l’actuelle majorité. Un groupe de députés a bien tenté de relancer dès le début du quinquennat la proposition à travers une tribune de presse (Le Monde) intitulée : « Le droit de vote des étrangers aux élections, c’est maintenant ». Aucun débat public n’a pourtant eu lieu sur cette question, tout au plus quelques scansions pour justifier le renoncement.
Enfin, le député JC. Lagarde, chef de file de l’UDI, a également déposé une proposition de loi constitutionnelle en 2013 proposant que les seuls citoyens européens « soient éligibles à tous les mandats électoraux et fonctions électives, à l’exception du mandat de Président de la République ». Par son existence même, cette proposition de loi marque que la question du droit de vote des étrangers restent enfermée dans une argutie juridique multiple prise dans des enjeux (la consistance politique de l’Union européenne, les politiques migratoires, l’état des droits sociaux …) qui dépassent la seule question juridique et politique qui vaille celle la définition substantielle et formelle de la citoyenneté aujourd’hui. Cet arrière fond est quasiment oublié aujourd’hui, ayant laissé comme seule opportunité la réunion de conditions assez improbables : un débat institutionnel européen serein, une conjoncture économique et sociale favorable et, enfin, une pacification des sur-interprétations ethniques et religieuse
Pour enterrer une proposition, faire un rapport avant
Comme une antienne un peu partout notée d’ailleurs, la proposition revient, sous un jour à peu près stable mais toujours dans une connivence avec le temps électoral qui interroge. Le Parti socialiste a ainsi proposé dans un rapport programmatique sur les réformes institutionnelles à instaurer après 2017 la reprise de cette proposition tout en déminant déjà les éventuels freins d’une population française décidément bien frileuse à ses yeux : « si les Français sont hésitants sur cette mesure, c’est en partie parce qu’ils imaginent des communautés étrangères constituer des listes entre eux, voire des émissaires de Daech investir les conseils municipaux ». Lors de la primaire de gauche, l’idée a d’ailleurs était diversement reprise et ne constitue pas un argument de premier plan aujourd’hui. Le programme de la France Insoumise de JL. Mélenchon prévoit lui aussi cette mesure : « Reconnaître le droit de vote aux élections locales pour les résidents étrangers en situation régulière, comme en bénéficient déjà les ressortissants des pays de l’Union européenne ». En ce qui concerne les personnes ayant effectivement le droit de vote, toute mobilisation et toute pression civique ne sont pourtant pas absentes. On observe depuis les années 1980, notamment dans les périodes qui précèdent les élections présidentielles, une forte mobilisation pour réduire la non-inscription sur les listes électorales. Il faut en détailler quelques étapes significatives avant de prendre acte des réalités statistiques de ce qui est tour à tour décrit et finalement perçu plus comme un déficit civique que comme une désaffiliation sociale. Ce sera l’objet d’un prochain billet.
Paul Schor, Compter et classer : histoire des recensements américains, Paris, Presses de l’EHESS, 2009. 386 p.
Emmanuel Henry, « Inscription », in Y. Déloye (dir.), Dictionnaire des élections européennes, Paris, Economica, 2005.
… Non pas celles de ces billets, ou pas seulement, mais aussi celles de ce pourquoi et sur quoi ces billets seront écrits. L’objectif de ces courts articles est de proposer une réflexion sociologiquement argumentée sur les règles du jeu électoral. Inspirée de mes travaux sur la socio-histoire de la réforme électorale, cette entreprise vise à éclaircir quelques aspects qui concourent à transformer la pratique même du vote, côté représentants comme représentés. Le troisième âge du suffrage universel, celui qui atteste la clôture du champ politique sur lui-même, impose la nécessité d’en comprendre les origines. Réaction(s) au fil de l’actualité, ces billets auront vocation à replacer les éléments procéduraux (propositions de loi, programmes, jugements) et factuels (données brutes, indices biographiques) dans une meilleure compréhension du cadre institué des opérations de vote qui nous entourent. Construction(s) au fil des lectures et recherches, ces billets (s’) alimenteront autour d’une sociologie de la représentation qui tâtonne (encore, désolé) pour décrire la peur de la représentation, pour paraphraser J. Goody, qui anime toute l’évolution de ce cadre institué et, partant, toutes les tentatives éparses pour l’enserrer dans une « réforme électorale » entendue comme vaste et perpétuel mouvement de contrôle du ce qui va de soi en la matière.
La méthode retenue consistera à se saisir de faits pour les mettre en perspective et les faire se télescoper aux connaissances sociales arrêtées sur le vote. Pour l’essentiel, les transformations du droit électoral intervenues en France ces dernières années, notamment depuis la réforme constitutionnelle de 2008 permettent d’observer une montée en puissance assez efficace d’une critique sociale du jugement majoritaire qui s’est appuyée sur plusieurs réformes et, chemin faisant, plusieurs expressions intellectuelles à ce propos (productions intellectuelles que nous ne manquerons pas d’étudier ici). Olivier Christin, qui vient de publier il y a deux ans une pré-histoire de la lente et contradictoire émergence de ces règles majoritaires , ne manque jamais de décrire comme une parenthèse, qui se refermerait aujourd’hui, cet épisode majoritaire qui aurait accompagné les expériences contemporaines du vote démocratique. Cet immense défi intellectuel de repérer la fin d’un processus majoritaire impose, disons-le encore, de situer socialement certaines de ses règles (comment définir les frontières du monde des candidats ? A quelles règles de l’échange et de la bienséance obéissent-ils, etc.).
La remise en cause des principes de base du sentiment majoritaire existe : défait par le biais des accords « majoritaires » en matière de représentativité syndicale, attaqué par la transformation consensuelle du cadre des oppositions parlementaires (au pouvoir renforcé par la réforme constitutionnelle de 2008). Le bilan institutionnel de la période 2007-2012 doit laisser place, dorénavant, à celui de la période 2012-2017, non pas précisément à des fins de comparaison mais pour justement souligner la permanence d’un certain nombre de transformations sociales inhérentes au corps électoral et inhérentes au réformisme institutionnel et électoral dont la vocation première de perfectionnement de la professionnalisation électorale ne fait aucun doute.
Ces transformations institutionnelles et sociales du droit de vote méritent d’être réunies et exposées de façon transversale. Parce qu’elles touchent à des univers symboliques qui ne sont pas toujours rapprochés (la structuration des territoires, l’organisation des campagnes, la formation du corps électoral, les jugements de catégorisation, le droit des candidatures), ces transformations, pour beaucoup en cours, méritent également d’être rapportées à l’aune des modalités juridiques et sociales antérieures, parfois méconnues parce qu’instituées et naturalisées dans l’acte de vote. C’est ainsi que nous pourrons contribuer à dresser un premier bilan de la réforme électorale latente depuis 2012. Empruntant des voies territoriales plus que constitutionnelles, comme le pouvoir précédent, les innovations n’en ont pas moins été cruciales : perfectionnement des primaires, élargissement des circonscriptions locales cantonales et régionales, modification du régime de l’uninominalité, du cumul, etc. La domination territoriale, le déplacement de ce que l’on se propose d’appeler les frontières sociales du vote fait que, naturellement, l’exclusion sociale du processus de vote tend à être jugulée par une inventivité institutionnelle sans relâche.